D Résumé détaillé

En vertu de l'article L121-3 du code de l’éducation la langue de rédaction privilégiée en France pour les thèses est le français. Une thèse en anglais doit en conséquence s'accompagner d'un résumé détaillé en français qui est fourni ci-dessous en suivant une progression similaire au manuscrit qui peut alors être titré:

De la modélisation mécanistique des voies de signalisation dans le cancer à l'interprétation des modèles et de leurs apports : applications cliniques et évaluation statistique

D.1 Modélisation et cancer

La modélisation scientifique, la complexité et l'abstraction

Il importe en premier lieu d'effectuer une brève clarification sémantique et épistémologique concernant les modèles, de loin le mot plus fréquent de cette thèse. C'est en effet un terme polysémique, y compris en se restreignant à la seule pratique scientifique. Si les modèles y sont généralement reconnus comme des représentations des phénomènes étudiés, ils peuvent recouvrir des réalités diverses, tantôt objet physique manipulable (Figure 1.1) et tantôt construction purement formelle ou mathématique. C'est à cette deuxième catégorie que nous allons nous attacher tout au long de cette thèse, en la spécifiant davantage encore.

Ainsi, on distinguera par la suite les modèles mécanistiques des modèles statistiques. Si tous deux sont des modèles formels, ils diffèrent par leur structure et leurs objectifs (Figure 1.6 et Tableau 1.1). Les premiers cherchent à représenter les mécanismes internes du phénomène, quand les deuxièmes cherchent à optimiser la prédiction du phénomène sans présupposer de connaissances particulières. Une illustration de ces différences, appliquée à la modélisation des interactions écologiques entre proies et prédateurs, est proposée en section 1.2.2.

Un point crucial à retenir concernant ces modèles, et en particulier les modèles mécanistiques, est leur nécessaire simplicité. Puisque leur existence découle de la complexité des phénomènes étudiés, les modèles sont par nature des simplifications de la réalité. Le recours au bon niveau de détail et la justification des choix effectués sont ainsi beaucoup plus importants qu'une impossible exactitude. Ou comme le disait Paul Valéry~:

Ce qui est simple est toujours faux. Ce qui ne l'est pas est inutilisable

De la dérégulation de la machinerie cellulaire au cancer

Le cancer, de par sa grande complexité cellulaire et moléculaire, est un terrain de prédilection pour les modèles en tout genre. Les manifestations cliniques de la maladie, caractérisée par une prolifération incontrôlée de cellules, sont connues depuis des siècles. La compréhension des mécanismes biologiques sous-jacents ne s'est elle approfondie qu'à partir de la découverte de l'ADN comme support de l'information génétique, au milieu du XXème siècle. Le cancer est aujourd'hui reconnu comme une maladie génétique dont l'origine réside essentiellement dans des altérations de l'ADN. C'est la combinaison de plusieurs altérations, souvent accumulées au fil du temps, qui permet d'inactiver les différentes protections biologiques qui prémunissent en temps normal contre une prolifération cellulaire excessive.

Ainsi, il apparait de plus en plus indispensable de considérer les informations biologiques de chaque patient (mutations de l'ADN, niveaux d'expression ARN etc.) non plus séparément mais conjointement afin de comprendre le phénomène tumoral. La prise en compte des réseaux d'interactions entre gènes, ARN et protéines éclaire également la compréhension : le cancer n'est plus seulement une maladie génétique mais également une maladie de réseaux (Figure 2.8).

Sur le plan technologique, la recherche profite également depuis le début du XXIème siècle de données beaucoup plus abondantes, issues notamment du séquençage à haut débit, qui permettent une vision plus globale en renseignant sur des milliers de gènes et ce à travers différents types de données omiques : génomique (ADN), transcriptomique (ARN), protéomique (protéines) etc. Ces données sont notamment disponibles publiquement pour des milliers de patients atteints de cancer (consortium TCGA par exemple) mais aussi pour de nombreux modèles précliniques comme des lignées cellulaires provenant de patients.

Modélisation mécanistique du cancer : d'une maladie complexe à la biologie des systèmes

L'abondance des données et des relations entre les entités biologiques a rendu nécessaire l'utilisation de méthodes computationnelles pour les comprendre et les modéliser. Ce thèse se focalise sur la modélisation au niveau moléculaire, celui des interactions entre gènes, ARN et protéines au sein des cellules. Même en se focalisant sur les modèles mécanistiques qui intègrent la connaissance biologique et biochimique sur ces entités, plusieurs formalismes mathématique existent pour écrire un modèle. Deux formalismes parmi les plus fréquents concentreront l'essentiel des analyses de cette thèse. Le premier est constitué d'équations différentielles, il est quantitatif mais mobilise de nombreux paramètres. Le second est le formalisme logique, plus parcimonieux mais qualitatif et qui sera décrit en détail plus avant.

L'un comme l'autre ont pour vocation de répliquer le phénomène tumoral étudié (activation d'une voie de signalisation, impact d'une mutations etc.) tout en représentant explicitement les entités biologiques impliquées. De par leur structure complexe, souvent non-linéaire, ils peuvent mettre en évidence des comportements dit émergents qui relèvent d'une réponse du système dans son ensemble et ne pouvaient se déduire des entités biologiques prises séparément.

Au-delà de leur utilité intellectuelle et scientifique dans l'étude des phénomènes tumoraux, ces modèles mécanistiques moléculaires du cancer sont parfois utilisés pour des analyses ou prédictions à portée clinique et médicale : survie d'un patient en l'absence de traitement (valeur pronostique), réponse d'un patient à un traitement donné (valeur prédictive). Cette thèse se focalise essentiellement sur ces questions d'impact clinique des modèles mécanistiques de cancer, entre biologie des systèmes et biostatistiques.

D.2 Des modèles logiques personnalisés de cancer

Principes de modélisation logique et intégration des données

L'essentiel des modèles mécanistiques présentés dans cette thèse relèvent du formalisme logique. Chaque entité biologique y est représentée par une variable discrète, souvent binaire, interprétée comme une abstraction de son activité: \(0\) si inactive (gène non transcrit, ARN dégradé, protéine en trop faible concentration etc.), \(1\) si active (gène transcrit, protéine phosphorylée etc.). Ces entités sont reliées entre elles par des règles logiques composées à partir des opérateurs ET (&), OU (|), NON (!). On pourra ainsi définir qu'une entité A doit être activée si B l'est et que, dans le même temps, C ne l'est pas ("B & !C").

Par la suite les modèles logiques seront simulés suivant une actualisation asynchrone telle qu'encodée dans le logiciel MaBoSS dont le fonctionnement est résumé en Figure 4.4. En bref, cela signifie que la mise à jour de l'état des variables du modèle (par exemple le passage de l'état \(0\) à l'état \(1\) si la règle logique est vérifiée) se fait une variable à la fois et que l'ordre des mises à jour est défini stochastiquement à partir de constantes de réactions associés aux variables (algorithme de Gillespie).

La plupart des modèles logiques utilisés par la suite ont été construits à partir de la littérature comme source primaire d'information. Cependant, dans ce formalisme comme dans les autres, les données biologiques sont de toute première importance à différentes étapes du modèles, que ce soit pour le définir, la paramétrer ou le valider (Figure 4.5).

Personnalisation des modèles logiques : méthode et validation pronostique

Les modèles définis à partir de la littérature sont par construction assez génériques et ne permettent pas d'explorer, pour un même cancer, les différences entre individus en termes d'agressivité de la tumeur ou de réponse au traitement. À partir d'un réseau moléculaire générique, une des possibilités est d'utiliser les données biologiques des différentes tumeurs pour spécifier, personnaliser les modèles. Les méthodes existantes proposent pour la plupart d'entraîner et d'optimiser les paramètres des modèles à l'aide d'une fonction d'objectif prédéfinie. Cela requiert cependant des données riches, souvent des données de perturbations qui sont rarement accessibles en dehors de certains modèles précliniques comme les lignées cellulaires.

Une autre approche a été suivie dans cette thèse consistant à personnaliser les modèles en interprétant biologiquement des données statiques (par opposition aux données de perturbation) issues d'un seul prélèvement initial. Le formalisme logique est alors mobilisé, sa nature qualitative et parcimonieuse étant adaptée aux données utilisées. Peut-on alors obtenir de ces données des modèles mécanistiques de cancer personnalisés et interprétables cliniquement ? La méthode PROFILE conçue durant cette thèse cherche à répondre à cette question sans entraînement des modèles.

Son principe peut se diviser en deux méthodes distinctes: la personnalisation discrète et la personnalisation continue (Figure 5.5). La première infère l'effet fonctionnel des altérations génétiques considérées discrètes comme les mutations ou les altérations du nombre de copies d'un gène. Une mutation connue pour impliquer une perte (resp. un gain) de fonction de l'entité biologique sera traduite en forçant la variable correspondante du modèle à rester à \(0\) (resp. \(1\)) pour le patient concerné. La seconde méthode consiste elle à interpréter des quantités continues comme peuvent l'être les niveaux d'ARN, de protéines, de phosphorylation etc. Il s'agit alors, pour chaque variable, de détecter la forme de distribution au sein de la cohorte puis de la normaliser, c'est à dire de la transformer en une variable continue comprise entre \(0\) et \(1\) (Figure 5.4). Cette valeur peut ensuite être utilisée pour définir les constantes de réactions associées à chaque variable du modèle et qui influent sur la rapidité avec laquelle ladite variable sera mise à jour. Les deux types de personnalisations peuvent être combinés, en intégrant par exemple les mutations et les niveaux d'ARN chacun suivant la méthode adaptée. Cette combinaison sera celle utilisée par défaut dans les analyses évoquées ultérieurement.

Une première validation de la méthode est faite en vérifiant la capacité des modèles logiques personnalisés à différencier des tumeurs plus ou moins agressives. Des analyses de survies de patientes atteintes de cancers du sein sont notamment proposées en Figure 5.9 et démontrent la capacité des modèles personnalisés à stratifier des patientes présentant des pronostics différents.

Des modèles logiques personnalisés pour interpréter la réponse aux traitements

Mais l'intérêt principal des modèles mécanistiques personnalisés réside dans leur représentation explicite des entités et mécanismes biologiques sous-jacents. Une des façons de mettre à profit cet avantage est de s'intéresser à l'effet de certains traitements sur les modèles. Il est en effet possible de modéliser l'effet d'un traitement si sa cible et son mode d'action sont suffisamment connus. Cette analyse n'est a priori pas possible dans un modèle statistique si le traitement n'est pas compris dans les données d'entraînement.

Une première analyse à large spectre est menée à l'aide de données concernant plusieurs centaines de lignées cellulaires (provenant de différents types de cancer) et de traitements. L'utilisation d'un modèle logique générique n'a cependant pas permis de tirer des enseignements précis de cette analyse. Une étude plus ciblée a donc été menée par la suite pour étudier la réponse aux inhibiteurs de BRAF des mélanomes et cancers colorectaux, étant observé que les premiers répondent assez bien au traitement et pas les seconds, en dépit de profils moléculaires assez semblables. Un modèle centré autour de BRAF tout d'abord construit et validé qualitativement. Il est ensuite personnalisé à l'aide des données de mutations et d'ARN issues de lignées cellulaires des deux cancers concernés. La réponse des modèles personnalisés à l'inhibition de BRAF est ensuite évaluée en observant le score de Prolifération (variable de sortie phénotypique du modèle) atteint par ces modèles avec et sans inhibiteurs. La réduction de Prolifération engendrée par l'inhibition simulée de BRAF est comparée aux résultats expérimentaux issus de l'inhibition de BRAF sur les mêmes lignées cellulaires par un traitement ou par CRISPR/Cas9. Les corrélations significatives entre sensibilités expérimentales et simulées valident la pertinence des modèles personnalisés, en particulier ceux résultant de l'intégration conjointe des données de mutation et d'ARN (Figure 6.6). Les modèles personnalisés apparaissent par ailleurs comme un outil d'investigation qualitative porteur de sens en permettant de mettre en lumière et en contexte certains mécanismes de résistance, liés à CRAF par exemple (Figure 6.7). Une comparaison avec des méthodes d'apprentissage automatique, ici des forêts aléatoires, est effectuée afin de souligner la complémentarité des approches et l'intérêt des modèles logiques personnalisés sans entraînement en présence d'un nombre d'échantillons réduit.

Une application de cette méthode de personnalisation au cancer de la prostate est ensuite présentée. La stratégie est similaire au cas précédent, en insistant sur l'identification de nouvelles cibles thérapeutiques pour une lignée cellulaire en particulier. Certaines cibles identifiées comme efficaces par les modèles personnalisés sont ensuite testées et validées in vitro.

D.3 Quantification statistique de l'impact clinique des modèles

Flux d'informations dans les modèles mécanistiques de cancer

La valeur clinique, c'est à dire pronostique ou prédictive, des modèles mécanistiques a été analysée jusqu'ici de manière assez simple en se focalisant sur la capacité des sorties du modèle (souvent des variables à interprétation phénotypique comme Prolifération) à corréler avec des résultats cliniques. Cependant les données utilisées en entrée des modèles mécanistiques, pour les paramétrer ou les personnaliser, sont souvent déjà des variables pertinentes cliniquement : statut d'une mutation, biomarqueur ARN etc. Il est donc nécessaire de considérer à la fois les variables d'entrée et de sortie du modèle à l'aune des résultats cliniques afin de comprendre comment le modèle traite et transforme les informations cliniques qu'il ingère.

Un premier exemple est fourni, fondé sur des données simulées et l'utilisation du pourcentage de la variance exprimée (\(R^2\)), pour mettre en exergue deux grandes catégories de modèles mécanistiques (Figures 7.2 et 7.3). La première correspond à ceux dont les sorties ont une valeur clinique inférieure aux entrées. Les sorties du modèles, généralement en nombre réduit, peuvent néanmoins constituer une réduction de dimension pertinente des entrées, souvent nombreuses. La seconde catégorie est celle des modèles dont les sorties ont une valeur supérieure ou complémentaire aux entrées : ils ont capturé un comportement émergent qui a une valeur clinique. Cette analyse est appliquée à des modèles déjà publiés pour illustrer la nature de l'information clinique qu'ils fournissent.

Essais cliniques et inférence causale

Si l'on se focalise sur la capacité des modèles mécanistiques à orienter le choix des traitements, il devient nécessaire de développer d'autres méthodes d'analyse des modèles, plus proches de la pratique clinique. En la matière, l'évaluation des traitements et stratégies thérapeutiques se fait souvent à travers des essais cliniques randomisés qui permettent de comparer des populations similaires qui ne diffèrent que par l'administration du traitement ou du contrôle. Dans le cas de données non randomisées, que l'on appellera ici observationnelles, le choix des patients qui ont reçu le traitement ou le contrôle peut avoir été fait suivant des critères particuliers qui deviennent ainsi des facteurs de confusion dans l'analyse : la différence de résultats peut provenir de l'effet du traitement ou d'une répartition déséquilibrée des patients (Figures 8.2 et 8.3).

Il est toutefois possible d'utiliser des méthodes pour corriger certains de ses déséquilibres et ainsi, sous certaines conditions, d'interpréter les différences résiduelles de résultats entre patients traités et contrôles comme résultant de l'effet causal du traitement. Trois implémentations différentes de ces méthodes d'inférence causale sont utilisées dans la thèse, chacune fondée sur un modèle statistique différent pour contrôler l'effet des facteurs de confusion: la standardisation (modèle du résultat du traitement), la pondération selon l'inverse de la probabilité (modèle de l'assignation du traitement), le targeted maximum likelihood estimation TMLE (combinaison des deux modèles précédents). Ces méthodes dépendent cependant toutes d'hypothèses parfois difficiles à vérifier.

Inférence causale pour la médecine de précision

Mais les modèles mécanistiques peuvent théoriquement permettre de choisir parmi plusieurs traitements pour chaque profil moléculaire de patient. Ils sont ainsi assimilables à une stratégie ou un algorithme de médecine de précision. Peut-on alors appliquer les méthodes d'inférence causale à l'évaluation de ce genre de stratégies cliniques qui englobent différentes molécules thérapeutiques ? Dans le dernier temps de cette thèse, une extension de ces méthodes est proposée pour s'adapter à des stratégies cliniques comprenant différentes versions de traitement. Cela revient à utiliser des données observationnelles pour simuler des essais cliniques comparant un bras où les patients sont traités suivant les recommandations de l'algorithme de médecine de précision (qui peut être un modèle mécanistique) avec différents types de bras contrôle: traitement standard de référence (molécule unique), traitement prévu par le médecin, ou traitement ciblé aléatoirement défini.

Ces méthodes et les estimateurs statistiques associés sont d'abord validés sur des données artificiellement générées afin de mesurer leur capacité à corriger d'éventuels biais causés par l'hétérogénéité de l'effet des traitements ou la répartition inégale des traitements observés par exemple. Une application interactive RShiny est également fournie pour permettre l'exploration de très nombreux scénarios de simulations, y compris par un public non familier du langage R (Figure 9.8).

Dans un deuxième temps, une application a été menée avec des données précliniques issues de xénogreffes dérivées de patients (PDX). Cela correspond à des tumeurs prélevées chez des patients avant d'être divisées en échantillons implantés chez des souris immunodéprimées identiques qui seront traitées avec des molécules différentes (Figure 9.1). En conséquence, il est possible d'accéder, pour chaque tumeur, à sa réponse thérapeutique face à différents traitements. Ces informations, qui ne sont pas disponibles pour les vrais patients qui ne peuvent recevoir qu'un traitement à la fois, permettent d'accéder directement dans les données à l'effet de différentes stratégies thérapeutiques pour chaque tumeur. Ainsi, il a été possible de valider, sur des données précliniques réelles, la supériorité des valeurs issues des nouvelles méthodes d'inférence causale proposées par rapport aux valeurs obtenues suivant des méthodes plus directes.

D.4 Conclusion

Cette thèse trace un chemin, de la conception de modèles mécanistiques du cancer à la quantification de leur impact clinique. La faculté de ces modèles à passer de l'outil théorique à une interprétation clinique repose ici sur leur personnalisation permise par l'intégration des données omiques dans un canevas tissé à partir des connaissances biologiques issues de la littérature. Les modèles logiques personnalisés qui ont été présentés restent essentiellement des supports qualitatifs à l'interprétation clinique des phénomène tumoraux. La réflexion menée par la suite sur leur impact clinique a mis en évidence l'importance d'une évaluation globale qui permette de comprendre l'origine de leur valeur clinique et la nécessité de développer des méthodes statistiques adaptées pour évaluer leurs apports en termes de médecine de précision.